On ne saurait trop recommander de regarder, au préalable et une fois de plus, la remarquable étude faite par nos amis de « Talloires Développement durable » sur l’accès du public aux rives du Lac.
http://www.talloiresdd.com/talloiresddlelib.html
Il est déjà regrettable que les propriétaires privés interdisent la circulation au bord des rives du Lac, avec la bienveillance des services de l’État, en dépit d’une loi de datant 1964.
Ceci est encore plus regrettable quand cette privatisation des rives s’exerce sur des terrains dont l’État est propriétaire. C’est ce qui se passe à Duingt, depuis longtemps. En effet, sur le territoire de cette commune, entre la plage de Duingt et la limite communale avec Saint-Jorioz, l’État est propriétaire d’une bande de terrains parallèle au lac.
Les propriétaires privés des terrains bordant le domaine de l’État ont bénéficié jusqu’ici d’une autorisation d’occupation précaire, ce type d’autorisation est parfaitement légale, mais elle est provisoire, révocable sans indemnité et n’autorise en aucun cas les bénéficiaires à s’affranchir des lois de la République.
C’est pourtant ce qu’on fait certains riverains en édifiant divers obstacles : haies, murs ou clôtures, toutes choses interdites par la Loi, qui impose depuis 1964 une servitude de passage dite « servitude de marchepied ».
Dans d’autres départements, en application des dispositions de la loi littoral (article L 146-3 du code de l’urbanisme qui garantit le libre accès du public), le Préfet a refusé de renouveler ces mises à dispositions et obtenu finalement la démolition des obstacles qui y étaient installés y compris des habitations (si vous voulez en savoir plus tapez « Arradon loi littoral » sur un moteur de recherche).
Tel n’est pas le cas en Haute Savoie où non seulement l’État n’est pas intervenu , mais a donné son accord pour ne pas faire passer le sentier piétonnier sur ses propres terrains le Dauphiné libéré avait d’ailleurs publié un article le 16 juillet 2010 annonçant qu’il n’y aurait pas de servitude de passage). Cette position initiale a quand même un peu évolué, une variante serait prévue.
Les murs et autres obstacles étant toujours là début 2012, ALAE, ainsi que la FRAPNA, ont écrit au Préfet lui demandant de prendre toutes dispositions nécessaires pour assurer la circulation du public, c’est à dire de faire démolir les clôtures et d’engager des poursuites en cas de refus des riverains.
Cette lettre étant restée sans réponse, un recours gracieux a été déposé en juin 2012.
Ce recours a fait l’objet d’un rejet, de la part du Préfet, celui ci s’inquiétant du risque de surfréquentation du secteur et de l’atteinte au milieu naturel qui pourrait en résulter. Il reste en effet un reliquat de roselière qui a survécu aux pontons privés édifiés par les mêmes riverains.
S’inquiéter des risques de surfréquentation du secteur, alors que l’on a donné sa bénédiction à une passerelle qui permet d’accéder directement à la « Réserve Naturelle du bout du lac » depuis le camping de Doussard, prête à sourire…Notons cependant que le Préfet ne niait pas la matérialité des faits (la présence de clôtures illégales), mais souhaitait engager une concertation avec les riverains.
Ceci nous a semblé peu convaincant pour les raisons suivantes :
· la Préfecture ayant dans des affaires similaires pris ouvertement parti pour les riverains, la méfiance était préférable,
· la concertation préalable n’est pas prévue dans la procédure réprimant ce type d’infraction,
· toute concertation était inutile (la suite l’a prouvée) les riverains n’entendant rien céder.
Nous avons déposé, en conséquence, un recours contentieux auprès du Tribunal Administratif de Grenoble.
La lecture du mémoire en défense du Préfet nous a appris que, d’une part, contrairement à ce qui avait été annoncé, les autorisations ont été renouvelées avec obligation (non respectées) de laisser le passage au public. D’autre part, les riverains avaient été mis en demeure de détruire tous les obstacles avant le 1er mai 2013.
Cette mise en demeure, aurait pu suffire. Nous avions envisagé de nous désister et une lettre au Préfet avait été rédigée dans ce sens, mais la convocation à l’audience est arrivée beaucoup plus tôt que prévu.
Les riverains et leur association sont intervenus dans le contentieux en s’opposant à la démolition des clôtures, le non respect de la servitude étant, d’après eux, le meilleur moyen de protéger la nature…
L’intervention de la Préfecture à l’audience s’est limitée à remettre copie d’une lettre à la Gendarmerie demandant de verbaliser les infractions.
Par jugement en date du 5 août 2013 le Tribunal administratif de Grenoble, annule le refus du préfet d’engager des poursuites à l’encontre des propriétaires en infraction.
Les principaux motifs étant les suivants :
· Il n’est pas établi que « le rétablissement de la servitude de marchepied le long du lac d’Annecy occasionnerait une surfréquentation du site susceptible de menacer la qualité des roselières terrestres et lacustres déjà protégées par un règlement de police particulier … ».
· Il n’existe pas de « procédure de négociation avec les riverains avant d’engager des poursuites… ».
Le Tribunal a rappelé, en outre, qu’au titre de l’article 6 des conventions d’occupation précaire signées par les riverains qu’ils ont l’obligation de laisser un passage de 3,25m. (NB Le non respect de cette obligation devrait logiquement, à notre avis, entraîner la résiliation des conventions).
On peut, aujourd’hui, constater qu’un certain nombre de murs, haies, grillages et clôtures sont toujours en place. Il faudra probablement un certain temps pour que les contrevenants soient condamnés. Certains obstacles ont par contre été déjà démontés souvent remplacés par des portillons non cadenassés (ce qui reste conforme à la réglementation). Vous pouvez aller le constater et mettre le pied sur la portion de berge reconquise. Ne vous attendez cependant pas à un accueil chaleureux de la part des anciens occupants (mais pas propriétaires), ceux ci la jouent en effet « inamical quoique poli… ».
Photo de gauche : Accès au lac obstrué par des riverains. Cette photo a été prise à la limite communale ST Jorioz Duingt.
Photo de droite : Accès rétabli. Cette photo a été prise à Duingt en accédant à la zone depuis le « Clos Marcel »